Vous appréciez cuisiner avec les bons légumes que nous offre la saison estivale? La langue française est parsemée d’expressions inspirées du potager. Voyez la signification et la provenance d’une sélection des plus souvent entendues au Québec tirées du livre Phraséologie potagère de Julie Amerlynck (2006).
- AVOIR UN CŒUR D’ARTICHAUT
(S’amouracher aisément, être inconstant en amour)
Allusion au cœur tendre des artichauts (cœur au sens de partie centrale des végétaux) et aux nombreuses feuilles qui s’en détachent, pour signifier « avoir le cœur trop tendre et le donner sans discernement à autant de personnes qu’il y a de feuilles sur celui de l’artichaut ».
- LES CAROTTES SONT CUITES
(Il n’y a plus rien à faire ou à espérer, tout est décidé)
Issue de la locution verbale « avoir ses carottes cuites » (1878) signifiant « être près de mourir, agoniser ». Les carottes sont cuites est utilisée dans un premier temps pour qualifier l’état de santé d’un moribond. Il s’agit ici de l’hypothèse la plus vraisemblable parmi d’autres.
- MARCHER À LA CAROTTE
(Agir en étant poussé par l’appât du gain)
Carotte comme récompense. L’âne récalcitrant n’avance que si l’ânier lui présente la carotte qu’il n’atteindra jamais, celui qui marche à la carotte n’est incité à faire un effort que s’il y voit un avantage.
- AVOIR LES OREILLES EN CHOU-FLEUR
(Avoir les oreilles déformées, boursouflées)
L’expression est construite sur une analogie de forme : les bouffissures de l’oreille meurtrie rappellent l’aspect bosselé des inflorescences charnues du légume.
- AVOIR ÉTÉ ÉLEVÉ AU JUS DE CONCOMBRE
(Être ou paraître anémique, maladif, mou)
De nombreux légumes servent à connoter de manière imagée la pâleur. On en trouve une illustration évidente dans les locutions comparatives blanc/pâle comme un navet, blanc/pâle comme une endive, blanc/pâle comme un concombre. À noter que la pâleur dont il s’agit est celle de la chair du légume. Ces sens figurés ont peut-être influencé la formation d’avoir été élevé au jus de concombre, expression imagée qui assimile le jus de concombre, aliment peu énergétique et pâle de chair, au caractère de celui qui s’en nourrit. La pâleur suggère d’ailleurs le manque de dynamisme. On retrouve le même mécanisme sémantique dans l’expression synonyme avoir du sang de navet.
- C’EST PAS TES (MES, SES) OIGNONS
(Cela ne te (me, le) regarde pas. S’occuper, se mêler de ses affaires)
Dans ces expressions, oignon, désigne les affaires personnelles. Plusieurs hypothèses divergentes ont été émises pour expliquer l’origine de ce sens :
1- Simple expression rurale équivalant à occupe-toi de ton jardin : « En Auvergne jusqu’à une date récente, et sans doute dans tout le centre de la France, la seule marque d’indépendance des femmes était qu’elles pouvaient disposer d’un coin de jardin, généreusement attribué par le Maître, où elles cultivaient des oignons. Leurs oignons récoltés, elles allaient les vendre au marché ; le produit de cette vente leur était entièrement réservé. Il était donc courant d’entendre des hommes dire à leur femme : « Occupe-toi de tes oignons », « Ce n’est pas tes oignons », quand elles essayaient de s’occuper des affaires des hommes » ;
2- Il s’agirait d’un glissement à partir de se mettre en rang d’oignons, « se placer en des rangs où il y a des gens de plus haute condition que soi » : le sens serait passé de ‘rang occupé, condition sociale’ à ‘affaire personnelle’.
3- Possibilité d’un glissement de sens à partir de il y a de l’oignon ‘il y a une affaire ou une raison cachée, des difficultés à prévoir, une intrigue’ : oignon ‘affaire cachée’ serait devenu ‘affaire(s) personnelle(s).
Variante d’expressions telles que occupe-toi de tes fesses, de ton cul. Dans la même perspective, on estime que les locutions font référence au sens figuré de oignon, ‘cul’, et plus précisément ‘anus’.
- FAIRE LE POIREAU
Rester (être) planter comme un poireau
(Rester longtemps à attendre sans bouger de place, avec une certaine impatience, et parfois en vain)
Une étymologie possible est que faire le poireau provient de poireau ‘sergent de ville stationnant sur la voie publique’, sens contemporain de la locution (1878), de la même manière que faire le planton est formé sur le sens de planton ‘service exercé par la sentinelle fixe, appelé planton’. L’expression ferait référence au comportement statique de l’agent de police, et la métaphore sur planter serait seconde. Une autre analyse va dans le même sens si ce n’est qu’elle rapproche l’expression d’un autre sens de poireau qui désignait plaisamment en argot ancien les surveillants – lesquels restent immobiles à leur poste.
La métaphore porte sur la longue immobilité du poireau qui reste en terre tout l’hiver en attendant d’être consommé. Sa forme allongée est elle aussi déterminante, semble-t-il, dans l’association du légume à la silhouette de celui qui reste debout à ‘poireauter’ – de même on est planté comme un piquet, comme un cierge, ou comme une borne. L’idée d’immobilité ‘végétale’, qu’exprime faire le poireau se retrouve dans les expressions synonymes prendre racine et rester planté comme une souche, autrement dit attendre sans changer de place.
Poireau était également très usuel au sens de ‘nigaud, imbécile’ à la fin du XIXe siècle, de sorte que l’expression suggère aussi d’ « attendre sur place comme un idiot ».